lundi 29 août 2011

Les amitiés célestes

C'était si facile quand on avait 5 ans.  Je me souviens encore de mon premier jour à la maternelle.  Nous étions tous attroupés devant la porte du local. C'est alors qu'une petite blonde s'est exclamée: «C'est long, pis c'est plate!».  J'ai trouvé ça bien drôle, je suis allée la voir et de là est née une amitié qui existe encore aujourd'hui.  C'est avec nostalgie cette fois que je me remémore mes années de cégep et d'université.  Les occasions de rencontre étaient infinies (dans les cours, dans les bars, avec les nouveaux colocs...).  Il y a bien quelques relations qui ont su résister à l'épreuve du temps, mais nos fréquents déménagements et l'arrivée des enfants les a affaiblit. 

Décidemment, à l'âge adulte, les occasions de faire des rencontres se font plus rares.  Tout doit être davantage planifié.  L'absence de cette spontanéité qui caractérisait nos amitiés d'enfance rend les premiers pas difficiles à faire.  Notre courage est endormi par la routine.  On collectionne alors des amis virtuels.  L'amitié authentique est un trésor de très grande valeur qui ne peut absolument pas se trouver par hasard sur Facebook.

Paradoxalement, les Québécois se vantent d'avoir une âme latine, toujours prêts à accueillir les gens chez eux.  Mais en toute honnêteté, qui ose inviter des gens qu'ils connaissent à peine? Pourtant, lorsque nous faisons l'effort de passer par-dessus l'envie de ne rien faire, nous passons toujours d'agréables moments en bonne compagnie. L'amitié est un bel antidote à l'individualisme et l'égoïsme, en plus de constituer un vrai rempart à la solitude.

L'amitié, c'est beau et la vie en a grand besoin. Évidemment, aller plus loin dans l'amitié, ça ne se fait pas avec tout le monde.C'est un peu comme les relations amoureuses, il faut l'étincelle sinon ça ne fonctionne pas.
Et il est parfois des amitiés bien plus profondes que l'amour...

Et moi dans tout ça? Je suis de celles qui considèrent "qu'on n'a pas vécu si on n'a pas aimé... autant en amour qu'en amitié".  Je suis une voyageuse libre dans un monde éphémère.  Et c'est là, dans nos espaces de liberté que naissent les plus belles rencontres.  Je veux tout essayer, tout prendre, tout embrasser pour n'en garder que le précieux.  On y découvre parfois cette subtile proximité du coeur et de l'esprit.  Je suis rêveuse, je veux des amitiés célestes.  Et tous les soirs, je prie pour que notre amitié si belle reste à jamais éternelle.  J'ai même rêvé que la Vie devenait éternelle...

lundi 22 août 2011

Mon Petit Prince

L'autre jour, alors que je m'affairais à remettre de l'ordre dans cette pile de papier qui traîne au beau milieu de la table, il m'apparu, tel le Petit Prince à St-Exupéry.

- " Maman, regarde le dessin que j'ai fait à l'école aujourd'hui "
- " Pas tout de suite, mon grand.  J'ai des choses à faire..."
- " Maman, pourquoi tu ne m'aimes pas, moi? "

Il aura fallu cette petite phrase pour qu'éclate en mille miettes mon coeur encore si fragile.  Nous nous sommes collés et nous avons pleuré. Soudainement, j'ai eu l'impression que le monde s'était arrêté.  Je me suis revue, 6 ans auparavant, portant dans mes bras ce petit être encore parfait.

J'ai été pour B* une mère surprotectrice.  Je ne voulais tellement rien manquer de ses premiers moments que je me le gardais pour moi toute seule.   Il était ma fierté, je l'avais dans la peau, dans le sang.   Je passais mes journées assise par terre à jouer avec lui.  Je ne mangeais pas, s'il ne mangeait pas.  Je ne dormais pas, s'il ne dormait pas.  Je ne respirais pas sans lui. Partout où j'allais, je l'amenais avec moi.  Chez des amis, au restaurant.  Là où il ne pouvait venir, je n'y allais pas. Bref, B* trônait bien au haut de son siège. 

La naissance de son jeune frère (que j'appelle Farfelu, allez-donc savoir pourquoi) l'a fait trébucher d'une marche.  Je me rappelle les crises qu'il nous faisaient durant les premiers jours de vie de son frère.  "Veux qu'il retourne à l'hôpital, veux qu'il s'en aille, veux pas de frère...", nous disait-il du haut de ses 2 ans. 
Farfelu n'était qu'un frêle bébé naissant que déjà B* lui mordait les orteils, le détachait de son siège pour le faire tomber.  Lorsqu'il a commencé à marcher, il l'entraînait dans les recoins les plus dangereux de la maison, avec l'espoir qu'il déboule, qu'il se coince, qu'il se cogne.  Évidemment, je veillais au grain.  Rien de grave n'est jamais arrivé.  Et lorsque B* invitait des amis à la maison, ils se liguaient contre Farfelu.  "Il est nono mon frère, hein?  On va lui mettre de la neige dans le cou!"  Et toujours, les petits amis suivaient, comme un vrai troupeau de moutons.  C'est qu'il a du leadership ce Big Brother.  Et maman veillait encore au grain.  Pas de neige dans le cou, Farfelu était sauvé in extremis, pour la millième fois.

Le problème c'est que B* n'a rien d'un grand frère.  Malgré tous mes efforts, il est incapable de prendre soin de son jeune frère ou de sa jeune soeur, de les protéger, de les aimer.  Il y a quelques mois, Farfelu a été hospitalisé.  Jamais B* ne s'est inquiété, il ne s'est même pas ennuyé.  Vous auriez du voir sa déception lorsque j'ai ramené Farfelu à la maison.  En fait, vous n'auriez pas aimé voir ça.  Ça donnait le goût de pleurer.

Aujourd'hui, je regarde mon grand garçon et je le trouve encore beau.  Je l'ai beaucoup moins dans la peau, mais je l'aime différemment, sincèrement.  Je pense que je l'aime comme on aime un ado, avec ses boutons et son air bête...

- "Maman, à quoi tu penses?"

Je me suis rassise devant cette pile de papier que la tornade a transformé en un fouilli chaotique.

- "Et si on faisait des avions de papier?"

mercredi 13 juillet 2011

Le pays des enfants heureux

Il était une fois, dans une contrée pas si lointaine, un petit lutin que l’on appelait Farfelu.  Par une nuit étoilée, une fée, qui était peut-être sa mère, vint lui murmurer ceci à l’oreille :
« Tu es assez grand maintenant pour partir à l’aventure.  Sois curieux. Nage à travers les océans, gravit les plus hautes montagnes. Et qui sait, peut-être au passage découvriras-tu le pays des enfants heureux… »
Avant de quitter, la fée lui remit un petit jeu de cartes pourvu de pouvoirs magiques.
« Chaque fois que tu seras égaré, tire une carte de ton jeu et elle saura te guider ».
Le lendemain matin, Farfelu se mit en chemin.  Impatient d’arriver à destination, il tira une première carte : AS DE TRÈFLE.  Devant ses yeux surgit un majestueux château.  A l’intérieur, des milliers de jouets traînaient au sol.  Farfelu se mit à jouer pendant de longues heures, mais à sa grande surprise, il ne vit personne.  Aucun enfant pour partager ses rires.  Aucun adulte pour essuyer ses larmes.  Déçu, il quitta rapidement le château.
Ne sachant plus où se diriger, Farfelu tira une autre carte : DAME DE PÎQUE.  Il pénétra dans la petite maison qui apparût au bout du chemin.  Aussitôt, il vit une armée de lutins qui avançaient vers lui.  « Garde-à-vous! Au pas ! Halte ! », hurla la dame en noire.  Farfelu eut soudainement très peur.  Le sifflet retentit et il se retrouva au beau milieu du rang.  Il lui fallu plusieurs jours avant de réussir à s’enfuir…
Farfelu rentra chez lui, le cœur blessé.  « J’ai parcouru le monde et je n’en ai vu que la laideur.  Nulle part je n’ai trouvé quelqu’un qui pouvait m’écouter et me comprendre.» dit-il à la bonne fée.
« Ne perd pas espoir Farfelu.  Tu ne peux découvrir de nouveaux pays sans consentir à quitter, pour un temps, le tien.  Tu verras, le pays des enfants heureux n’est pas bien loin.»
Sur ces mots, Farfelu reparti à l’aventure, amenant avec lui sa petite sœur, encore frêle comme une fleur.  Il tira une nouvelle carte : DAME DE CŒUR. Après avoir gravit la plus haute des montagnes, Farfelu et Fleur arrivèrent devant une grande maison peuplée d’enfants, d’où émanait une chaleur réconfortante.  Ils n’avaient pas encore franchi le seuil de la porte qu’une dame de cœur vint les accueillir, leur fit visiter les lieux et les présenta à tout le monde.  Dans tous les coins de la maison, ils virent pousser des fleurs, des rires et des chansons.
« Mais qui sont ces dames ? », se demanda Fleur.
« Elles sont si réconfortantes avec leurs bras grand ouverts et si charmantes avec leurs douces paroles. », répondit Farfelu.
Farfelu observa la carte magique qu’il tenait toujours au creux de sa main. Une dame de cœur la tête en haut, et une autre, la tête en bas cette fois.  Dualité entre la sagesse et la folie, ou plutôt entre la sagesse des folles et la folie des sages.  Ce monde lui plaisait bien.
Au fil des jours, les dames de cœur leur firent voir le soleil et les oiseaux, leur firent sentir le parfum des fleurs, et même goûter au bonheur.  Ils s’amusèrent tant qu’ils en oublièrent les saisons.  Lorsque Farfelu décidait d’allumer ici et là de petites étincelles,  une dame de cœur en fit des lucioles pour éclairer un peu la nuit.  Et s’il lui soufflait des mots durs, elle les transforma en pétales pour sécher ses larmes.
Il y a dans ce pays joyeux la douceur sans pareille du miel des abeilles, et des fruits, et des roses.  Il y a toute cette bonté et cette force aussi dans les mains qui prennent Fleur et qui l’entraînent pas à pas vers le temps qui viendra.
Évidemment qu’un jour Farfelu et Fleur quitteront ce pays des enfants heureux.  Mais toujours, à leurs yeux, ces dames resteront des dames de cœur. Et lorsqu’ils devront tirer une à une les cartes de leur destin, ils sauront piger celle qui aura protégé leur enfance. 
Il n’y a peut-être pas de morale à cette histoire, pas plus qu’il n’y a de lutins, de fée ou même de pays des enfants heureux.  Mais il y a de ces dames avec de si belles âmes…

lundi 30 mai 2011

Comme une lettre d'adieu

Il y a des moments dans la vie où l’on ressent un besoin d’écrire comme une lettre d’adieu.  Juste au cas où demain n’arriverait jamais.  Pour se racheter de toutes les fois où nous n’avons pas pris le temps d’un petit bonjour, d’un sourire, d’un baiser, d’une étreinte, d’un « merci », d’un « je t’aime ». Si le jour présent devait être le seul qu’il me reste, j’aurais tant de choses à confier.
À toi mon grand rebelle, si je savais que ce sont les dernières minutes qu’il me reste en ta compagnie, je te dirais « je t’aime », « je t’aime », « je t’aime », pour effacer de ta mémoire toutes les fois où j’ai dit du mal de toi.  Tu n’es pas vraiment méchant.  Je sais bien que tous le mal que tu fais autour de toi n’est en fait qu’une manière de te faire aimer. Et bien « je t’aime »…
À toi mon beau frisé, si je savais que bientôt ton visage disparaîtrait de ma vue, je te ferais un « colleux » qui durerait toute l’éternité. Je te parlerais du temps où mon imagination n’avait pas de fin, où les chevaliers, les princesses et les fées n’étaient pas que dans les contes.  Ne délaisse jamais tes rêves, même les plus fous.  Et je te donnerais des ailes, pour les baisers-papillons-doux…
À toi ma petite puce, si je savais qu’aujourd’hui, ce serait la dernière fois que je te verrais dormir, je m’étendrais près de toi, me blottirais dans ta chaleur.  J’accepterais la présence de tous ces bébés de plastique autour de nous, pour pouvoir enfin caresser du bout des doigts, ne serait-ce qu’un court instant, ton dos si doux et si frêle.  Je te raconterais à l’oreille l’histoire de cette petite fille qui, devenue grande, était rendue esclave de son indépendance à un tel point qu’elle refusait toute marque d’affection.  On dit qu’elle eut le cœur gros, le jour de sa mort…

Vous ai-je dit que le chant des oiseaux me grise? Que le bruit de l’eau sous les ponts m’attriste? Qu’il existe en moi un espace secret où j’accumule des souvenirs précieux de chacun de vous?
Si ce soir je ferme les yeux et je m’envole, ce sera pour vous réserver une place à travers les étoiles.  Mais si Dieu me faisait cadeau d’un petit peu de vie, et bien je prendrais le temps de trouver ce Elmo dans chacune des pages de ton livre, je chatouillerais chacun de tes orteils avec une plume magique, j’apprivoiserais chacune des touches de cette manette pour t’accompagner dans tes jeux vidéo.
Et j’irais finalement le prendre ce café en ta compagnie.  J’écouterais ton histoire, te dévoilerais la mienne.  J’enlèverais mes armures, de toute façon, elles sont trop lourdes.
Mais mon âme est si fatiguée. Et j’ai cette envie parfois de tout plaquer…

vendredi 6 mai 2011

MAMANS

Des mamans, il y en a partout. Elles sont le fondement même de la vie. Il y a les mamans-poules les mamans-ourses, les mamans-louves. Il y a les mamans en devenir, les mamans-espoir, les mamans d'accueil, les mamans-orphelines, les "mamans" sans enfant.

Et il y a ma maman. Je devrais dire mes deux mamans.

Et il y a moi…
  
 
J’ai eu 4 enfants et heureusement, le ciel m’a donné suffisamment d’amour dans le cœur pour chacun d’eux. Roxanne est née par une froide et pluvieuse journée de novembre. En donnant vie à cet être si fragile, mon monde s’est mis à tourbillonner. L’émotion que j’ai ressentie pour ce petit brin de fille est indescriptible. Je vous le jure, jamais je n’avais aimé de la sorte. Roxanne est décédée peu de temps après sa naissance [Voir «Un ange sur la lune...»], laissant mon âme vide et un affreux sentiment d’impuissance. Impuissance face à la vie, impuissance face à la mort. C’est qu’en tentant d’expliquer la cause de son décès, les médecins m’ont décelé au passage une tumeur cancéreuse à l’ovaire. Cet ange a sauvé ma vie, bien que je n’aie pu protéger la sienne.


La naissance de mes 3 autres enfants a bousculé ma perception du temps. Depuis eux, le temps pèse plus lourd sur mes épaules. Avec eux, la vie s’accélère. Ils grandissent et je vieillis. Je ne veux pas oublier les premiers instants de leur vie qui m’est si chère. Je me souviens de cette dame qui m’avait dit un jour de prendre le temps de s’imprégner de l’odeur de leur premier souffle de vie. La mémoire olfactive est éternelle, semble-t-il. C’est en effet le souvenir le plus persistant qu’il me reste de Roxanne, son odeur. Les mots ne doivent jamais entacher ces moments de grâce.
 
Nos enfants nous sont prêtés. Je l’ai bien compris maintenant. Mes enfants ont récemment pris conscience de l’inverse, c’est-à-dire que leur maman leur est également prêtée. 

La fragilité de nos  existences est à la base même de notre attachement. Récemment, la maladie m’a rattrapée, faisant dérailler tout mon quotidien. Et il y a cette souffrance dont je n’aime guère parler, car elle est si intense qu’elle provoque la pitié. Et je haie la pitié. Mais je m’aperçois de plus en plus que la maladie nous réunit dans une même communauté profondément humaine où règnent davantage la compassion et le désir d’aider. Mon garçon m’a demandé l’autre jour comment on faisait pour mourir. « Pourquoi me demandes-tu ça », lui ai-je répondu. « C’est parce que si tu meurs, je veux pouvoir mourir avec toi »… … …

Décidemment, être maman me fait du bien à l’âme. Il m’arrive parfois d’arrêter le temps. Je m’arrête et je regarde ces enfants qui ensoleillent mes jours. Je regarde ces petites voitures égarées dans tous les coins de la maison, ces dessins collés de façon imprécise sur les murs. Je regarde mes deux garçons pleins de vie, qui se chamaillent à propos d’un rien. Je regarde aussi ma petite fille ultra maternelle qui s'occupe d'une tribu de bébés en plastique. Je sais qu’un jour, elle les délaissera. Je sais aussi qu’un jour, elle aura ses propres bébés, bien vivants ceux-là. Et ce jour-là, mes enfants seront devenus grands et je serai devenue grand-mère. Ce jour-là, ma vie comportera davantage de souvenirs que de futur.


Depuis que je suis maman, mon monde se ressemble, mais plus rien n’est pareil. Même si j’avais vécu plusieurs années avant eux, je n’ai pris vie qu’en même temps qu’eux. Je sais que je les protégerai jusqu’au bout de la vie. Cette réflexion me renvoie immanquablement à ma mère biologique [Voir «L'Adoptée»]. A-t-elle su me protéger? Oui, car elle m’a laissée la possibilité de survivre. L’amour d’une mère peut se révéler aussi dans l’abandon de son enfant. Il est difficile de s’approprier l’idée qu’on ne connaîtra jamais notre vraie maman et que ce n’est absolument pas de notre faute (et pas vraiment de la sienne non plus). Ma mère adoptive a toujours tenté de combler ce vide, de façon parfois maladroite. Malgré nos distances, je ne peux aujourd’hui que saluer son grand cœur.


Le seul message que j’aurais le goût de vous dire aujourd’hui, c’est : Courez vers votre mère ; couvrez-la de votre amour, de vos baisers. Prenez le téléphone, donnez lui des nouvelles. Ou levez les yeux vers le ciel et pensez très fort à elle…


BONNE FÊTE DES MÈRES CHÈRES MÈREveilles!


jeudi 3 février 2011

Le suicide est-il une option?

Nous nageons présentement en pleine Semaine de Prévention du Suicide.  Le thème de cette année : Le suicide n'est pas une option. C'est une cause que je porte dans mon coeur, du moins depuis que mon copain s'est enlevé la vie, il y a déjà 9 ans.  Je vous remets dans le contexte.

Je connais M* depuis le début de mon secondaire.  Il était un être incernable, mystérieux, secret, à la limite d'être ténébreux.  Il a été mon premier "vrai" chum, c'est-à-dire le premier avec qui j'ai (secrètement?!) fait des projets d'avenir.  Comme je l'ai déjà écrit, j'ai quitté mon cocon familial très tôt, à l'âge de 16 ans.  Ensuite, j'ai ramé.  Ramé pour subvenir à mes besoins en travaillant au Subway du coin.  Ramé pour continuer l'école­.  Ramé pour survivre.  Je suis rapidement devenu prête à fonder ma famille.  J'avais espoir que c'était possible malgré notre jeune âge, lui non.  Il s'était alors creusé un fossé infranchissable entre M* et moi.  Fin de notre relation. 

Nous sommes par contre restés de bons amis.  De si bons amis qu'il a même accepté, près de 2 ans après notre rupture, de venir habiter chez moi et qui sait, raccorder les liens brisés.  C'est à ce moment que je suis tombée enceinte pour la première fois.  M* allait être papa.  Ç'aurait du lui sauver la vie.  Mais le destin s'était montré tragique (voir Un Ange sur la lune...).  Notre petite fille n'a fait que passer dans nos vies, effleurant nos âmes et brisant nos coeurs.  Re-Fin de notre re-relation.

Des épreuves, oui M* en a vécues.  À chaque fois, il maudissait le destin.  Tout était fatalité pour lui.  Ses peines étaient si profondes que ses joies semblaient toujours superficielles.  Je l'avais toujours connu comme ça.  Alors je ne m'étais pas méfiée de ses paroles funestes. Je n'avais pas remarqué à quel point il était égaré. J'avais réussi à recommencer à vivre, alors que lui ne songeait qu'à disparaître.  Le suicide était-elle la seule option qu'il avait à ce moment de sa vie? Peut-être pas...

Si je pense à mes 10 dernières années, la vie m'a apporté davantage de bonheurs que de tristesse.  J'ai un bon conjoint, des magnifiques enfants, un nid bien chauffé, tout plein d'amis, une famille présente... Ça aurait pu arriver à lui aussi, il le méritait tellement plus que moi.

Depuis que M* a fait le saut de ce foutu pont, j'ai voulu m'impliquer pour la cause de la prévention du suicide.  Pour comprendre, mais aussi pour m'outiller.  J'ai suivi plusieurs formations.  Je suis maintenant Sentinelle dans un programme de prévention dans ma communauté.  Je fais également de l'écoute téléphonique.  Et cette semaine, je me promène dans les écoles secondaires afin de sensibiliser nos ados à la prévention du suicide, leur présenter les ressources d'aide et aussi les écouter.  C'est avec l'image de M* plantée dans les yeux que je leur dis que le suicide n'est JAMAIS une option.

Il ne faut pas oublier que la réalité du suicide nous concerne tous et que nous avons un rôle à jouer en matière de prévention. La prévention du suicide est une responsabilité collective.  Passons le message.


lundi 3 janvier 2011

Un ange sur la lune...


Ange est entrée dans ma vie le 19 novembre 2000, dans un mélange de peur et de bonheur. Accouchement totalement imprévu à 30 semaines de grossesse.  L'échographie réalisée 2 jours auparavent ne laissait rien présager de ce sombre destin.  L'équipe de réanimation de l'hôpital Ste-Justine attendait.  Le gynéco attendait.  Les infirmières attendaient. Je me disais que sûrement aucun enfant n'avait été attendu à ce point par autant d'étrangers.  Impuissants devant ces contractions si fortes et si efficaces, tous s'étaient résignés à attendre la naissance de ce mini-bébé.

Col effacé à 100%, dilaté à 9 cm, poche des eaux rompue... On m'a dit que je devrais bientôt ressentir un besoin de pousser.  Tous ces mots n'avaient aucune signification pour moi qui n'avait même pas eu le temps d'ouvrir mon petit guide de préparation à l'accouchement. Je n'avais aucunement le désir d'expulser ce petit être qui aurait normalement dû vivre blotti dans mon ventre encore au moins 2 mois.  Mais la nature étant faite ainsi, je ne pouvais plus me retenir de pousser.  Si j'avais accepté l'épidurale, peut-être aurai-je pu la garder en moi quelques instants de plus.

Alors j'ai poussé, 1 fois, 2 fois et tout le monde a retenu son souffle.  À 6h10, ma fille avait été expulsée, si fortement que le médecin a du la retenir avec le drap pour ne pas l'échapper.  Et elle s'est mise à pleurer, si fort que tout le monde a versé des larmes.  On m'avait expliqué qu'il était possible qu'elle soit tout bleue, qu'on doive la réanimer, qu'elle ne respire pas, qu'elle soit couverte d'un duvet tout visqueux.  Mais jamais on m'avait dit qu'elle pouvait être si belle.  Elle ressemblait à son papa.  J'ai même pu la garder sur moi, sentir son souffle chaud.  Je n'ai pas rêvé, son souffle était chaud.  Elle était vivante.

On l'a amené, on l'a examiné, on l'a lavé puis on l'a installé dans un incubateur.  J'ai pu aller la voir.  On aurait dit qu'elle s'en allait sur la lune dans son vaisseau spatial. Petit ange, tu te battais...

Et comme tout semblait bien aller, j'ai pu la prendre dans mes bras et la faire boire.  "Aidez-moi quelqu'un!   Mon cours d'Allaitement 101 devait avoir lieu dans 2 semaines."   C'est Ange qui m'a aidé.  Elle a bu comme une grande et s'est endormie.  J'étais dans une telle extase que je ne m'étais pas rendue compte que son teint devenait bleu.  Je dois avouer que je ne me rappelle plus très bien de ce qui s'est passé par la suite.  La situation avait changé, voilà tout!

15h45.  "D'accord, débranchez-la!  De toutes façons, elle n'aurait pas pu vivre bien longtemps comme ça, elle aurait été légume ou fortement handicapée.  Qui voudrait d'un enfant handicapée dans un petit appartement du Plateau Mont-Royal?"  Tous ces mots n'étaient pas de moi, mais je me suis entendue les dire.

16h40.  Ange est débranchée.  Je pleure, je cries pour qu'on me laisse partir avec ma bébé.  Aller n'importe où, dans sa belle chambre toute rose qu'on lui avait préparée ou même dans le café du coin.  Mais qui a envie de voir un enfant mourir en buvant son Starbuck?  Ma raison n'était plus là.  Je me suis assise sur le rebord de la fenêtre.  Je voulais que Ange voit la ville, la vie qui grouille.  Elle avait les yeux ouverts.  Elle ressemblait à un petit champignon avec son bonnet tricoté serré.  Contrairement à ce que je croyais, elle restait bien vivante.  Papa était toujours à mes côtés.  Il a pris Ange dans ses bras quelques minutes, l'a embrassé sur le front et me l'a redonné.  Il est parti, incapable de voir la fin arriver.  Notre relation ne survivra pas à cette épreuve.  J'ai demandé à ce qu'on ne me dérange plus.  "Il faut venir voir si toi ça va, vérifier tes signes vitaux", me dit l'infirmière.  Que pourrait-il m'arriver de pire?  Si mon coeur s'arrête, ne me réanimez pas SVP!


Je berçais Ange, toujours assise sur le rebord de la fenêtre, en lui chantant des chansons.  Non pas des chansons, mais une seule.  Comme si c'était la seule chanson que je connaissais, comme si c'était la seule qui avait un sens.  "À la claire fontaine, m'en allant promener, j'ai trouvé l'eau si belle que je m'y suis baigné..."

Le temps passait et Ange devenait de plus en plus lourde.  Ses yeux ne s'ouvraient plus.  Sa bouche était figée en un rictus qui ressemblait davantage à un sourire qu'à une souffrance.  Je n'avais soudainement plus peur de la mort.  Ça m'a rappelé Grenouille, un hamster que j'avais lorsque j'étais petite.  Il était devenu vieux et malade.  Sa mort était imminente.  Je n'osais plus le toucher tellement la mort me répugnait.  Et un matin, je l'ai retrouvé tout au fond de son nid, froid et rigide.  Ma peur s'était dissipée.  J'avais blotti Grenouille contre mon coeur, l'avais couvert de baisers.  J'avais 5 ans...

23h02  Ange m'a quitté.  Ange est partie sur la lune, sans incubateur cette fois.  Elle était si légère qu'elle pouvait sûrement voler.  Et mon coeur a cessé de battre.  Je ne sais pas encore aujourd'hui si quelqu'un a réussi à me réanimer.

"Il y a longtemps que je t'aime, jamais je ne t'oublierai..."